Céline Louis-Ferdinand

Publié le par Eric Balay

VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT

écrit par Louis-Ferdinand Céline en 1928

CELINE (Louis Ferdinand DESTOUCHES, dit Louis-Ferdinand) (Courbevoie 1894 - Meudon 1961), mort à 67 ans, fut grièvement blessé durant la Première Guerre mondiale. Docteur en médecine en 1924, il exerça dans la banlieue parisienne. En 1932, il publia son premier livre, "Voyage au bout de la Nuit", satire de l'humanité écrite dans une langue disloquée, débordant d'inventions verbales. Le ton ne changea pas dans "Mort à crédit" écrit en 1936, "Bagatelles pour un massacre". pamphlet antisémite et «L'Ecole des cadavres", écrit en 1938. Durant l'Occupation, il publie "les Beaux Draps" en 1941, "Guignol's Band" en 1943 dont la suite. «Le Pont de Londres" ne paraîtra qu'en 1964. II se compromit par son attitude politique, quitta la France en 1944 et ne revint qu'en 1951. Il a relaté ses souvenirs d'exil dans "D'un château à l'autre" écrit en 1957 et "Nord" écrit en 1960.


PROLOGUE :

L'éditeur Denoèl trouva un soir sur sa table un manuscrit d'un auteur inconnu, enveloppé d'un papier journal sorti d'une poubelle ! Il commença à lire et y passa la nuit, émerveillé. Ce livre que Gallimard allait refuser n'était autre que le "Voyage au bout de la nuit".


Riche gisement d'images poétiques, le temps semble à la fois circulaire, diabolique récurrence, et linéaire, comme tous ces fleuves qui semblent s'écouler vers une mer unique, mythique.



RÉSUMÉ DE L'OEUVRE :

"Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. C'est Arthur Ganate qui m'a fait parler..." : ainsi commence "l'histoire" de l'épopée" de Bardamu. Après une désastreuse expérience de la guerre, Bardamu découvre l'enfer colonial africain, puis le gigantisme américain. Retour à Paris, place Clichy. Devenu médecin des pauvres, il est confronté à l'horreur quotidenne dans de sordides banlieues où la misère est autant morale que matérielle. Sordide, Bardamu l'est aussi. Ainsi que son camarade Robinson, sorte d'âme damnée, de double de Bardamu lequel (Robinson), à la suite d'un piteux assassinat manqué, perd la vue. Dernières tribulations à Toulouse avant d'échouer dans une ultime banlieue où Robinson trouve cette fois la mort. Pour Bardamu, c'est désormais le bout de la nuit le retour sur lu,-meme, où la parole n'a plus lieu d'être... La mort de Robinson est décrite ainsi « Agoniser ne suffit pas. Il faut jouir eh même temps qu'on crève avec les derniers hoquets faut jouir encore, tout en bas de la vie, avec de l'urée plein les artères. »


COMMENTAIRE DE L'ŒUVRE :


Déconcertante, souvent même choquant par la complaisance dans l'abject, voire dans l'ignoble, que l'humour constant du récit - un humour noir, l'humour des désespérés - ne réussit pas à supprimer tout à fait, ce roman vaut, outre par ses quelques précieux instants de tendresse, par son style d'une originalité radicale et d'un lyrisme puissant. S'abreuvant à la source de la langue orale, avec ses inversions, sa volubilité, mais en réalité richement élaboré, le style de l'œuvre adhère parfaitement à son sujet, une vision hallucinée d'un monde deshérité, un récit picaresque de héros sans envergure. Enfin, et peut-être surtout, le "Voyage au bout de la nuit" c'est aussi, au-delà même de l'intrigue, un réseau dense et coloré d'images poétiques, formant un ensemble construit et permanent derrière l'agitation superficielle du récit, de même que l'apparent désordre des événements masque un jeu savant de symétries.




EXTRAITS DE L'OEUVRE :


Crépuscule africain.


Les crépuscules dans cet enfer africain se révélaient fameux. On n'y coupait pas. Tragiques chaque fois comme d'énormes assassinats du soleil. Un immense chiqué. Seulement c'était beaucoup d'admiration pour un seul homme. Le ciel pendant une heure paradait tout giclé d'un bout à l'autre d'écarlate en délire, et puis le vert éclatait au milieu des arbres et montait du sol en trainées tremblantes jusqu'aux premières étoiles. Après ça le gris reprenait tout l'horizon et puis le rouge encore, mais alors fatigué le rouge et pas pour longtemps. Ça se terminait ainsi. Toutes les couleurs retombaient en lambeaux, avachies sur la forêt comme des oripeaux après la centième. Chaque jour sur les six heures exactement que ça se passait.




Bardamu à New York


Mon hôtel me suffisait. Tombe gigantesque et odieusement animée. Peut-être qu'aux habitués ça ne leurs faisait pas du tout le même effet qu'à moi ces entassements de matière et d'alvéoles commerciaux ? Ces organisations de membrures à l'infini ? Pour eux c'était la sécurité peut-être tout ce déluge en suspens tandis que pour moi ce n'était rien qu'un abominable système de contraintes, en briques, en couloirs, en verrous, en guichets, une torture architecturale gigantesque, inexplicable. Philosopher n'est qu'une autre façon d'avoir peur et ne porte guère qu'aux lâches simulacres.




Après la mort de Robinson


Ils montent vers le pont. Après ils disparaissent peu à peu dans la plaine et il en

vient toujours des autres, des hommes, des plus pâles encore, à mesure que le jour monte de partout. A quoi qu'ils pensent ?


Le bistrot voulait tout connaître du drame, des circonstances, qu'on lui raconte tout.


Vaudescal, qu'il s'appelait le patron, un gars du Nord bien propre.


Gustave lui en a raconté alors tant et plus. Il nous rabâchait les circonstances

Gustave, c'était pas ça pourtant qui était important. (...)


De loin, le remorqueur a sifflé; son appel a passé le pont, encore une arche, une autre, l'écluse, un autre pont, loin, plus loin... Il appelait vers lui toutes les péniches du fleuve toutes, et la ville entière, et le ciel et la campagne et nous, tout ce qu'il emmenait, la Seine aussi, tout, qu'on n'en parle plus.

Publié dans litterature.rebelle

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